Critique sociale dans 4 films de Mizoguchi

A travers L’intendant Sansho, les Amants sacrifiés (1954),  L’impératrice Yang Kwei-Fei, le Héros Sacrilège (1955),  apparaît le thème de la division en classe sociale de la société.

On y remarque la rigidité de la société qui s’interpose face aux tentatives des personnages de changer de classes sociales ou de vivre des relations amoureuses avec des personnes appartenant à une autre classe sociale.

Ainsi, dans les Amants Sacrifiés la femme du riche éditeur et son amant, l’employé de son époux, fuient ensemble après la découverte de leur adultère. La question est bien évidemment celle de la répression de l’infidélité de la femme mais toute la première partie du film s’attache à marquer la différence sociale entre les deux protagonistes principaux, insistant sur l’autorité de l’époux. On y comprend aussi l’impuissance sociale de la femme qui, mariée à son époux pour régler les dettes de sa famille, n’a d’autre choix pour assurer la subsistance de celle-ci et pour sauvegarder son honneur, que de se plier à une vie partagée avec un homme qu’elle n’aime pas et qui refuse en outre d’aider  financièrement d’avantage son frère.

Finalement, elle trouve l’amour avec un homme d’une classe sociale inférieure. Ce dernier est poursuivi principalement parce qu’il est complice d’adultère avec la femme de son employeur. C’est donc bien sa position dans la hiérarchie sociale qui motive sa culpabilité. De même, ce sont les règles rigides des hautes classes qui ont imposé à la femme de l’éditeur un mariage d’argent et qui exigent d’elle d’oublier ses désirs pour l’honneur de sa famille.

Puis, pendant la fuite des deux amants, Mizoguchi insiste sur le maintien par l’époux trompé des apparences à l’égard de ses clients d’une vie familiale normale, sans anicroche.

De même, les dernières scènes de fuite se déroulent chez le père du héros qui vit dans un état de grand pauvreté et qui, battu par les émissaires de l’éditeur, va révéler la cachette de son fils. Là encore, le père reproche à son fils le déshonneur et la déception que celui-ci n’ait pas poursuivi dans la voie de réussite professionnelle qui s’ouvrait à lui et qui constituait une ascension sociale notable. L’épanouissement personnel de l’individu, ses sentiments sont une nouvelle fois relégués derrière des considérations de hiérarchie sociale.

Mizoguchi donne toutefois raison à l’épanouissement personnel des individus au mépris des règles sociales puisque  ceux-ci choisissent la mort à  l’insertion sociale.

Dans les autres films,  ce sont les  membres des hautes classes sociales qui, suivant la rigueur de leur principe de vie, la rectitude qu’impose leur rang ou leurs sentiments, sont amenés à prendre des décisions qui déplaisent à leur entourage, qui vont à l’encontre de la logique de cour ou de mondanités.

Que ce soit le père de l’Intendant Sansho qui a pris le parti des paysans ou encore l’empereur de l’Impératrice Yang Kwei-Fei qui fait revenir  auprès de lui sa concubine dont la famille est critiquée pour vivre dans un luxe ostentatoire. Ils devront tous en payer le prix fort par la  destitution ou la mise à mort de leur compagne.

De même, dans l’Intendant Sansho ou dans le  Héros Sacrilège, le personnage principal  résiste aux pressions sociales et accomplit les principes inculqués par son père. L’Intendant Sansho deviendra ainsi gouverneur de la province et fait libérer les esclaves. Dans le Héros Sacrilège, le fils du samouraï affronte les palanquins, brisant ainsi le pouvoir que les moines prétendaient en retirer et sur lesquels ils asseyaient leur pouvoir.

A la fin du Héros Sacrilège, Mizoguchi évoque même la possibilité d’un soulèvement à venir du peuple entier, ouvrant ainsi une autre fin que les films précédents où les héros meurent ou perdent l’être aimé au nom de leurs idéaux.

En effet, en creux,  au delà de ses destinées individuelles, ces films décrivent une société corrompue ou le pouvoir est dévoyé au bénéfice des plus puissants.

C’est le cas dans l’Intendant Sansho où le héros essuie l’opposition de tous ses conseillers pour faire libérer les esclaves du camp où se trouve sa soeur. Ce clan appartient en effet à un riche notable dont le statut interdit en principe au gouverneur de légiférer sur ses terres.

La violence du pouvoir et l’abus des privilèges qu’il confère est le thème de la deuxième scène du Héros Sacrilège. On assiste en effet à l’arrivé des moines portant les palanquins et obligeant la foule à se prosterner devant eux. Une scène quasi identique se déroule dans l’Impératrice Yang Kwei Fei où l’on voit la famille de cette dernière ostensiblement brutaliser le petit peuple.

La corruption de l’Etat est aussi décrit par la puissance de l’administration qui interfère, complote et modifie ou tente de modifier les décisions prises par le gouverneur ou l’empereur.

Dans l’Impératrice Yang Kwei Fei, on utilise la jeune cousine à des fins d’ascension sociale. Puis, finalement, ce sont les comploteurs qui à la fin du film obtiennent la mort de l’impératrice et prennent ainsi le dessus sur le pouvoir légitime de l’empereur.

Dans le Héros Sacrilège, l’empereur est filmé derrière un voile devant lequel se trouve ses conseillers qui reçoivent les demandes et les doléances et prennent des décisions sans en référer à l’empereur. Pire, la décision de ce  dernier d’anoblir le père du personnage principal est dans un premier temps annihilée par la volonté contraire des conseillers. Et finalement, quand l’anoblissement du samouraï est effectif, ces derniers complotent pour le tuer.

Mizoguchi nuance ainsi son propos qui ne peut se résumer à une seule opposition entre puissants et faibles. Au delà des choix individuels, c’est le fonctionnement du pouvoir qui est source d’injustice sociale. Au contraire, quand celui-ci est exercé avec discernement, il peut être source de libération. L’Intendant Sansho devenu gouverneur permet ainsi la libération des esclaves et son père avait lui même pris parti des paysans.

Mais là encore, le propos est nuancé et les solutions ne sont pas binaires. L’Intendant Sanshofait ainsi l’expérience du pouvoir en devenant membre du personnel d’encadrement du camp des esclaves où il a été placé quand il était enfant. De même, l’empereur de l’l’Impératrice Yang Kwei-Fei,choisit le pouvoir au détriment de sa compagne. Toutefois, la scène qui évoque avec une infinie subtilité la mort de celle-ci montre que Mizoguchi regrette certainement ce choix. Par la même, en filmant le bas de la traîne de l’impératrice qui enlève ses bijoux, de ses vêtements et de ses chaussures avant la pendaison, le réalisateur montre la vanité du pouvoir et des apparences qui s’efface devant la mort d’une personne redevenue un être humain comme un autre au moment de sa mort.

Quelques liens 

Travail général sur l’oeuvre de MIZOGUSCHI : http://www.cineclubdecaen.com/realisat/mizoguchi/
Une analyse complète des Amants Sacrifiés, du contexte historique dans lequel il se situe et une biographie de Mizoguchi : http://www.films-sans-frontieres.fr/lesamantscrucifies/presse/DP_amants_crucifies.pdf

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *