La Haine et les 400 Coups

Juxtaposer les 400 Coups et la Haine peut paraître saugrenu de premier abord  ; ils retracent pourtant tous les deux  le parcours de jeunes gens évoluant en milieu urbain et se trouvant pour des raisons très différentes en marge de la société.

À quarante ans d’écart, la Haine et les 400 Coups permettent ainsi de retracer une vision de la délinquance, de la marginalité et plus généralement de la jeunesse dans leur rapport avec les institutions garantes de l’ordre social.

 

Ce point d’entrée est d’autant plus pertinent que chacun des deux films s’ancrent dans une expérience concrète de leur temps. On sait en effet que les 400 Coups puise dans la jeunesse de Truffaut et de son expérience de placement dans un centre de jeunes délinquants dans les années d’après guerre. M kassowitz  expliquera quant à lui a plusieurs reprises que l’idée du film lui vient d’une bavure policière ayant conduit au décès d’un jeune de banlieue.

 

Délinquance, marginalité, il est toutefois difficile de mettre un mot précis sur cette question autour de laquelle tournent pourtant de manière évidente les deux films. Dans les 400 Coups, l’école, le juge, les parents et le centre d’observation des mineurs délinquants sont les figures de l’autorité à laquelle se confronte le jeune héros.
De même, la police et certains individus rencontrés lors de la virée parisienne campent la figure de l’autorité et de la normalité à l’aune de laquelle sont jaugés les trois comparses.

 

Ce qui réunit le plus profondément les deux films, c’est en définitive la disproportion entre la sanction dont font l’objet les jeunes Antoine et Vince. Finalement, que reproche-t-on à Antoine ? d’abord d’avoir été trouvé en possession d’une image d’une pin-up puis d’avoir menti pour expliquer son excuse en inventant le décès de sa mère et enfin d’avoir volé, alors même qu’il est arrêté en voulant restituer l’objet de son larcin. Ce sont des comportements évidemment moralement répréhensibles mais qui ne font pas du jeune Antoine un dangereux délinquant.

 

M. Kassowitz va plus loin dans la Haine en se servant sur deux plans du cliché véhiculé par la bande des jeunes de banlieue. D’une part, l’ensemble du film est construit sur une monde en puissance de la tension résultant d’une bavure policière ayant gravement blessé un jeune de la cité et qui se focalise ensuite sur la haine et les 400 coups portrait robot d'un tueur
Vince qui est en possession de l’arme perdue par un des policiers réprimant les émeutes consécutives à l’annonce de la bavure. Plusieurs fois, Vince dégaine son arme et la tension aidant, le spectateur pressent qu’il va finir par tuer quelqu’un. M. Kassowitz pousse les attentes du spectateur jusqu’à filmer Vince devant une affiche titrant portrait robot d’un tueur.
D’autre part, ce même cliché joue dans le film puisqu’il sous tend la bavure elle même et les rapports conflictuels avec la police émaillant tout le film et allant jusqu’à une scène d’humiliation musclée des trois jeunes garçons par deux policiers d’un commissariat parisien.

 

Et finalement, qui va finir par franchir la ligne rouge ? qui va ne plus résister à la pression générée par l’autre clan ? C’est un policier qui tire à bout portant sur Vince, certes alors que celui-ci pointe le fameux revolver sur lui  mais dont rien ne dit qu’il se serait servi de son arme. Et sans que ce soit bien évidemment une excuse, il reste que Vince agit ainsi après être arrêté sans aucune raison, au petit matin par la police. Il ressort par ailleurs du film qu’il n’est pas ancré dans la délinquance et qu’il fantasme celle-ci plus qu’il ne la vit au quotidien.  D’ailleurs, quand Vince reproduit la célèbre scène de Taxi Driver, il joue au méchant, il reproduit une scène de fiction. De même, au début du film, une scène de plan contre plan tournée au matin des émeutes montre les CRS armés jusqu’au dent face à Abdel qui finira seulement par faire un tag en cachette sur un de leur camions. On est plus dans une attitude potache que dans de la vraie délinquance.
Les multiples scènes où Vince est filmé en gros plan joue avec le cliché de jeune délinquant. Il apparaît ainsi tour à tout idiot ou pathibulaire en pleine face camera, ce qui ne peut que conforter le spectateur dans ses a prioris. Mais dans le même temps, c’est aussi une façon de connaître ses vrais émotions, comme dans la scène de règlement de comptes à Paris. la haine vince en gros plan
Ainsi, la délinquance ou la marginalité prêtée aux personnages principaux des deux films découle pour une grande partie du regard que leur portent les institutions d’autorité,  dont le point de vue doit en principe être aussi celui des spectateurs mais qui incités à la réflexion,  sont aussi invités à réfléchir sur les a priori ainsi portés sur les protagonistes.
Toujours est-il que ce thème commun conduit immanquablement les deux films vers des passages obligés.

 

Tout d’abord, la question de la famille est très présente dans les 400 Coups et est en réalité la source du comportement d’Antoine. Celui-ci doit en effet vivre entre un père qui l’a reconnu mais qui n’est pas le sien et qui est souvent absent et une mère d’une froideur abyssale qui ne sait parler de son fils qu’en termes de problèmes, le plus grand à ses yeux étant qu’il l’a surprise avec son amant et qu’elle craint donc qui ne révèle son secret. Tant le commissaire de police que le juge essaieront d’ailleurs de faire réfléchir les parents sur leur absence et leur comportement inadapté, manifestement sans souci
Au contraire, dans la Haine, la famille est tout juste évoquée. On n’entrevoit que la soeur de Vince, celle d’Abdel  ainsi que la grand-mère de Vince et la mère d’Hubert. Une grand-mère manifestement dépassée, des soeurs qui trainent et une mère qui vit sciemment des petits trafics de la cité : c’est tout ce qu’on saura de l’environnement familial des trois amis.
Mais en définitive, ni Antoine, ni Vince, ni Hubert, ni Abdel ne sont aidés par leurs parents. Ceux du premiers sont faussement autoritaires et cadrants. Antoine ne reçoit une gifle de son père qu’à l’école où la situation l’y contraint. Sa mère qui le récupère après sa tentative de fugue, n’est en réalité que faussement maternelle. La discussion que l’enfant et sa mère ont dans la chambre parentale le démontre : la mère craint seulement que son secret soit dévoilé.  Pour le reste, on lui renvoie l’image d’un enfant malfaisant, on râle mais cela n’ira pas plus loin jusqu’au vol qui les conduiront à prendre des décisions extrêmes. La présence des parents d’Antoine n’est donc qu’illusoire et ce n’est pas vers eux qu’il trouvera amour et éducation.

 

400 coups La délinquance est nécessairement liée à la rue. C’est le lieu de vie de la marginalité par excellence, lieu de ceux qui ne travaillent pas, de ceux qui ne font pas d’étude ou qui ne vont pas à l’école. Dans les 400 Coups, la rue n’est jamais inquiétante. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une longue séquence où la Tout Eiffel filmée en contre plongée joue avec les immeubles, comme la verrait un enfant qui lève les yeux.
la ville dans les 400 coups Même la nuit, la ville ne représente pas pas un danger pour Antoine qui y trouve refuge. La ville est aussi le lieu de la seule scène familiale chaleureuse lors de la virée des parents et de l’enfant pour aller voir Paris Nous Appartient, nouveau clin d’oeil à la vie citadine.
Dans la Haine, les vues de la cité témoignent de la hauteur des immeubles. M. Kassowitz utilise ainsi une vision ascendante mais souvent une vision du haut. Il faut en effet penser à la phrase d’ouverture “c’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages et qui dit jusqu’ici tout va bien mais le plus dur sera la chute”. Ce n’est plus le point de vue d’un jeune garçon mais de ceux dont dès l’ouverture le spectateur est préparé au choc de la chute. la ville vue d'en haut la haine
 

les escaliers la ahaine

Les escaliers sont nombreux dans le film et tous descendent.

 hip hop et rap la haine La ville est partagée entre la cité, territoire où les personnages centraux évoluent dans un milieu connu et Paris, lieu de l’escapade mais aussi lieu d’enfermement (on se rappellera de la formule de Saïd qui constatant qu’ils ont manqué le dernier train de banlieue “on n’est enfermé dehors”). La cité est un milieu connu et protecteur. Les révoltes ont en effet clairement tourné envers des jeunes habitants. La course poursuite dans les caves se solde aussi par la fuite des jeunes poursuivis. C’est l’occasion de mettre en valeur le talent des jeunes à travers le rap ou le hip hop.

Mais la cité est aussi un lieu paradoxal d’enfermement (Hubert dit ainsi à sa mère qu’il veut partir de là, ce à quoi lui répond cette dernière, fataliste mais “pour aller où ?”) et de déception. Hubert est ainsi dégouté de voir la salle de boxe totalement détruite par les émeutes nocturnes. C’est le thème des jeunes qui se retournent contre eux mêmes et contre les aménagements dont ils bénéficient.  derrière les barreaux la haine
les jounalistes on n'est pas à thoiry la haine On pense aussi aux journalistes cherchant à interviewer les personnages principaux en tenant leur distance, en restant dans leur voiture sur une voie située en surplomb de l’endroit où se trouvent les trois comparses.
L’un deux s’énerve alors, fâché du lien s’établissant immédiatement entre jeunes de la cité et émeutiers et leur lance “On n’est pas à Thoiry ici”. Dans le même temps, Vince se plaindra à autres moment que la télévision ne filme pendant les émeutes que la police. On retrouve la question du rapport à l’image et du regard de l’autre dans lequel se construit tout être humain.
La cité, c’est aussi le lieu de l’ennui. La première partie du film qui s’y déroule est en effet remplie par une chose : par les discussions des trois jeunes et leur déambulation. Ce qui noue l’intrigue et commence à faire monter Vince en pression, ce sont les mots, le récit des émeutes de la nuit passée et le discours fantasmagorique d’une opposition rêvée entre les jeunes et la police puis d’une revanche à prendre sur la police en cas de décès de la jeune victime de la bavure policière. l'ennui la haine
La scène qui symbolise le mieux cet ennui est certainement celle où un jeune garçon leur raconte laborieusement et longuement le déroulement d’une émission de caméra cachée. Le thème de la conversation est clairement sans intérêt et le jeune garçon n’arrive même pas à dire de quelle célébrité il s’agit. On peut penser aussi au clin d’oeil au sketch des Inconnus “Et Manu descend ! Pourquoi faire ? Je sais pas descend.

Ce qui est frappant c’est que les scènes ouvertes de la cité ne montrent que des endroits vides et  dépeuplés. La socialisation se fait à l’écart sur les toits, dans les logements ou dans les zones plus reculées.

Paris est d’abord la ville de l’opposition avec la cité. Les trois jeunes gens s’étonnent ainsi de ce que les policiers à qui ils demandent leur chemin les vouvoient. Dans le train au trajet aller, on voit passer en arrière plan une image publicitaire “Le Monde est à vous”, belle promesse et joli parallèle avec les 400 Coups.
Mais vite, la ville offre vite une autre facette. Leur rendez vous chez le dénommé Astérix tourne à l’altercation où Vince en vient à braquer son arme, ce qui constitue une nouvelle étape de la montée en pression.  Il s’en suit une arrestation en bas de l’immeuble du dealer, la police ayant été appelé par les habitants surpris de voir trois jeunes faire du scandale dans l’immeuble ( on relativisera comme dans les 400 Coups la délinquance prêtée aux héros à qui l’on reproche un comportement bruyant et potache dans les beaux quartiers et sur qui on trouvera un peu de drogue ; il est vrai que Vince est porteur d’une arme mais jusqu’au bout du film, seuls Abedel et Saïd en sont informés). Paris devient alors le lieu de la rétention de Saïd et Hubert par des policiers véreux pendant que Vince assiste horrifié à un premier règlement de compte.

 

le monde est à nous la haine Plus tard dans la nuit, l’altercation avec les skins head dérapera presque, Vince pointant son arme sur la tête de l’un d’eux avant de renoncer. Dans leur déambulation, les héros croisent à nouveau l’affiche publicitaire et Saïd la crayonnera pour qu’on lise ” La ville est à nous”, autre façon de signer le sentiment d’exclusion ressenti pendant cette pérégrination nocturne.
Les deux films se concluent très différemment. La Haine se clôt sur Hubert braquant son arme sur le policier pour venger son ami. On sait que s’il passe à l’acte, la vie de celui qui avait le plus de recul sur le déroulement des événements et qui cherchait à déjouer le destin qui semblait tout tracé va basculer vers des années de prison. Au contraire, dans Les 400 coups, Antoine s’échappe du cente de jeune délinquant et parvient jusqu’à la mer. Arrivé là, il se retourne face caméra, dans une expression grave, laissant en suspens ce que sera son avenir. cloture 400 coups

en joue la haine


 La Haine de M. Kassowitz sorti en 1995

Les 400 Coups de F. Truffaut sorti en 1969 

Pour aller plus loin ;

Critique de la Haine par Frédéric Bas au Forum des Images
Article sur la délinquance des jeunes

Deux articles sur des films des années  traitant du même sujet

La Fureur de Vivre
L’équipée Sauvage

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