Le charme discret de la bourgeoisie

Une nouvelle série d’articles sur le cinéma de Luis Buñuel. Luis Buñuel est un réalisateur et scénariste mexicain, d’origine espagnole, né le 22 février 1900 à Calanda et mort le 29 juillet 1983 à Mexico. Son premier film – un court métrage – sorti en 1928 est “Le Chien Andalou” . Il s’agit d’un film surréaliste dont le scénario a été écrit en collaboration avec Salavador DALI. Sorti en 1930, son deuxième film “l’Age d’Or” (sortie en 1930) est également un film surréaliste.

Il passe plusieurs années aux Mexique où il tourne notamment “Los Olivados” (1950 – les Réprouvés / Pitié pour eux), “Gran Casino” (1947) et “Tourments” (1953).

De retour en France, il tourne “Viridiana” qui obtient la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1961.

“Le Charme discret de la Bourgeoisie” – Buñuel (1972)

"Le Charme discret de la Bourgeoisie" - Buñuel (1972)

“Le Charme discret de la Bourgeoisie” – Buñuel (1972)

Le Charme Discret de la Bourgeoisie met en scène un groupe de six personnes issues de la bourgeoisie des années 60 qui se rencontre à plusieurs reprises soit ensemble, soit un petit groupe. Ils sont confrontés à chaque épisode à des scènes absurdes : ils vont dans un restaurant dont le chef vient de mourir, s’assoient dans un salon de thé qui se trouve en totale rupture de stock puisqu’il n’y a même plus d’eau. Ils y font en revanche la rencontre d’un jeune militaire qui leur explique comment il a empoisonné son père sur les directives du spectre de sa mère.

Ils vont dîner chez des amis mais se trompent de jour ou se retrouvent sur une scène de théâtre confrontés à des aliments factices. Un groupe de militaire fait irruption lors d’un diner chez l’un deux. Les militaires sont conviés au repas pendant que la guerre et les bombardements font rage à l’extérieur.

Toujours est il qu’ils ne peuvent jamais manger, ni même boire, ni avoir de relations sexuelles puisque survient toujours un événement inattendu qui contrarie leurs plans.

Les différentes scènes se juxtaposent presque comme des sketches et s’imbriquent entre elles puisque certaines sont des rêves des protagonistes, ce qui permet une mise en abyme de la narration.

Petit résumé de la trame narrative

Pour plus de clarté, on peut résumer comme suit la trame narrative. 

  • Arrivée pour le dîner – 1er essai de repas – découverte de l’erreur de date
  • La lecture du menu
  • La découverte du mort
  • Petits arrangements à l’ambassade de Miranda
  • L’arrivée pour le midi – 2e essai de repas
  • La recette du dry Martini
  • De la façon de boire le dry Martini : “Aucun système ne pourra jamais donner au peuple tout le raffinement souhaitable et pourtant, vous me connaissez, je ne suis pas un réactionnaire”
  • La fuite de chez leurs hôtes
  • L’arrivée du prêtre
  • Pendant ce temps, fuite et  retour de plaisirs champêtres
  • La chasse du prêtre jardinier – le retour du prêtre en costume
  • 1ere marche dans le désert
  • Le salon de thé
  • L’enfance du militaire ( 1ere mise en abyme)
  • Adultère et arrivée impromptue du mari
  • Enlèvement de la jeune terroriste – Bruit assourdissant couvrant les explications de la jeune femme
  • 3e repas
  • Irruption de l’armée – reprise du repas – départ précipité des troupes précédé du …
  • … rêve du sergent dans lequel il fait la rencontre d’un ami mort et de sa mère également décédée
  • Dîner chez le colonel …
  • … qui se transforme en réalité en un dîner sur une scène de théâtre. Il s’agit en réalité d’un rêve (seconde mise en abyme)
  • Dîner chez le colonel qui comprend mystérieusement des éléments communs avec la scène de théâtre. On y trouve également le chapeau porté par Napoléon à la  bataille de Wagram. Le prêtre est habillé de la même façon. Le dîner se termine par le meurtre du colonel par l’ambassadeur de Miranda… Il s’agit en réalité d’un rêve d’un rêve.
    Double mise en abyme. Tous les événements depuis la scène de théâtre est en réalité un rêve
  • seconde marche dans le désert
  • On demande un prêtre – la vengeance du prêtre
  • 4e repas interrompu par l’arrivée de la police
  • Au commissariat, c’est le jour du brigadier sanglant
  • En réalité, le brigadier sanglant émane du rêve du commissaire de police
  • Ordre de libération – Bruit assourdissant empêchant toute explication audible.
  • 4e dîner :
    “J’espère qu’ils ne vont pas tarder, sinon mon gigot va être trop cuit”
    “J’ai failli ne pas faire de potage et puis je me suis dis un repas sans potage, est-ce vraiment un repas ? “
  • Arrivée des terroristes
  • Pris la main dans le pot de confiture
  • Réveil de l’ambassadeur de Miranda
  • Du gigot en pleine nuit
  • 3e marche dans le désert

Essai d’analyse

Quant aux rêves, les dialogues permettent de discerner l’oniriques et la réalité pour les deux premières occurrences.

En revanche, on ne sait pas si le troisième rêve n’englobait pas tout le film. On peut remarquer que l’ambassadeur de Miranda vit en réalité dans un intérieur modeste, ce qui permet de douter de sa position sociale telle que décrite dans le reste du film. Reste toutefois après le réveil de ce personnage l’apparition pour la troisième fois de la route déserte arpentée par les personnages principaux. Si cette scène se répète après le dernier réveil, c’est qu’une partie du film qui vient de se dérouler est réelle ; sans quoi les deux premières occurrences de cette même scène n’auraient pu se produire. A moins que la scène de la route ne constitue en réalité que la seule scène réelle du film, le reste ne constituant que les scènes imaginées par les personnages qui, perdus, au milieu d’une campagne désertique, ont fin, ont soif, et s’imaginent la douceur de leur vie passée.

Si on s’en tient à la chronologie et à l’idée qu’une partie des scènes est ancrée dans la réalité, on ne peut qu’être frappé par le nombre de morts qui hantent le film mais en définitive, un seul meurtre semble être réel alors qu’il est le plus choquant et le plus inattendu : le meurtre du moribond par le prêtre qui a découvert qu’il s’agissait du meurtrier de ses parents. Le mort lui explique qu’il les a tués car ils étaient très durs envers leurs ouvriers. Ainsi, le prêtre fait prévaloir son désir de vengeance privée sur les préceptes religieux. On peut aussi interpréter ce crime comme la persistance d’une hiérarchie sociale dans laquelle le fils des bourgeois a le dernier mot sur ses ouvriers et ce, alors même qu’en se faisant passer pour un ouvrier le prêtre avait un moment semblé vouloir se mettre au niveau des plus humbles.

On retient aussi le meurtre de son père par le jeune militaire qui n’est pas sans rappeler le meutre de Tristana et qui a d’ailleurs le même effet : la libération envers de la jeune personne du dictat et l’emprise familiales.

On remarquera aussi le bruit assourdissant qui se déclenche dans les deux scènes où interviennent des considérations politiques, ce qui renforce l’absurdité de la trame narrative mais ce qui tend aussi à montrer que des considérations supérieures guident le destin des personnages et que celles-ci leur sont inconnues. Les personnages deviennent ainsi des marionnettes manipulées par des intérêts supérieurs et évoluant dans un décor de carton pâte, ce qui peut aussi expliquer leurs considérations matérielles inchangeantes et  leurs obsessions pour la nourriture qui conduit jusqu’à les perdre dans les situations dramatiques.

Finalement, comme souvent dans ce type de film, il est difficile d’arriver à une analyse univoque. Buñuel joue avec nos impressions, nos angoisses de mort, nos pulsions de violence, nos désirs d’affranchissement ou de vengeance. Au delà de la critique grinçante de la bourgeoisie, il distille dans le film des éléments d’une grande force qui font impression comme nos rêves nous laissent parfois un goût étrange une fois réveillés.

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