Les vacances de M. Hulot

Jacques Tati a su résumer à merveille cette impression estivale marquée dans de nombreux esprits de manière à la fois diffuse et très prégnante comme les vacances idéales.  La force du film tient de ce que tout en étant quasiment muet, il parvient à la fois à planter un décor, instaurer une ambiance et une histoire où se mêle la personnalité des différents personnages. Les vacances de M. Hulot
Les vacances de M. Hulot Le premier plan s’ouvre sur une plage où viennent se casser les vagues. La musique est cette jolie mélodie lancinante qui accompagnera le spectateur pendant tout le film comme pour imprimer une habitude douce et rassurante propre aux jours de vacances où chacun rêve de se couler dans une apaisante routine. Cette musique ouvrira souvent chaque journée et se fera aussi entendre à d’autres moments de la journée.
Dès l’arrivée sur la plage, la bande son s’enrichira du bruit des estivants s’interpellant sur la plage et qui reviendra à l’identique tout au long du film, sauf quand les vacances prennent fin, ce qui d’emblée dans l’inconscient du spectateur un sentiment de mélancolie, ainsi que l’avait relevé Hervé Bazin. Les premiers plans sont aussi dignes d’images de carte postale mais l’alliance avec la petite musique permet d’associer ces images à une émotion et on ne tombe donc pas dans le cliché.A cette douce quiétude, s’oppose le bruit pétaradant de la voiture de M. Hulot qui de ce fait, immédiatement, ne passe pas inaperçu et ne manquera pas de réveiller par la suite les pensionnaires de l’hôtel.
Le brouhaha et la panique des voyageurs devant changer précipitamment de quai de gare vient aussi en opposition avec la douceur de l’été. On remarquera comment en un seul plan, Tati parvient à résumer tout son propos. Le haut parleur dont on comprend qu’il annonce les changements de quai mais dont le propos exact est incompréhensible pour le spectateur, figure en haut à droite de l’image et on comprend ce qui passe  à la seule vision des vacanciers changeant de quai et parvenant toujours sur un autre quai que celui où parvient le train.
De même, d’emblée une seule image permet à Tati de signifier d’emblée que M. Hulot n’est pas un vacancier ordinaire. Il faut en effet se rappeler qu’il s’agit du premier film mettant en scène ce singulier personnage et qu’une entrée en matière est nécessaire.   Dans deux scènes dont les lignes de force sont similaires, on voit successivement le train filant à toute vitesse vers les vacances puis le tacot de M. Hulot pétaradant sur les routes de campagne. La démarche si caractéristique de M. Hulot et son arrivée remarquée à l’hôtel de plage finissent de camper le personnage.
Toujours sans dialogue, Tati parvient à signaler  d’emblée que M. Hulot va troubler la quiétude des vacanciers. Il filme d’abord le salon de l’hôtel où règne une atmosphère calme sinon ennuyeuse puis M. Hulot ouvre la porte et laisse un moment le vent s’engouffrer dans le salon, le temps de saisir ses bagages. C’est comme si une véritable tornade pénétrait les lieux : les papiers volent, les cheveux se décoiffent, le thé ne peut plus être versé. Les vacances de M. Hulot

Un des thèmes centraux du film est en effet l’opposition entre M. Hulot et le monde de l’hôtel de la plage quelque peu guindé et regroupant des hommes d’affaires en contact téléphonique incessant avec leur travail, des étudiants studieux, des mères de famille à cheval sur les principes et un ancien militaire vivant dans le passé. Cette opposition reste larvée mais un bien réelle et éclatera au grand jour le jour du départ où M. Hulot est ostensiblement mis au ban de cette petite société.

Il faut dire que M. Hulot ne fait rien pour se faire oublier après son arrivée tonitruante. On peut d’ailleurs remarquer que si dans Playtime et dans une certaine mesure, dans Mon Oncle, M. Hulot n’est pas à l’origine de ses mésaventures, il apparaît plus agissant dans les Vacances bien qu’il soit aussi victime de certaines situations. On peut ainsi penser qu’il est à l’origine de la mise à l’eau fortuite du bateau. Il botte ensuite les fesses de l’homme de l’affaire qu’il pense être suite à une erreur de perspective en train d’observer Martine, la jeune fille rangée aux tresses. Il se cachera ensuite derrière le porte manteau pour échapper au serveur.

Pour le reste, il fera inopinément irruption dans une cérémonie d’enterrement à cause de capote de voiture qui lui a caché la vision. Surtout, il osera mettre au défi la bonne société de l’hôtel au tennis et alors qu’il ne dispose visiblement pas de la technique consacrée, il les battra tous uns par uns.

De l’autre côté, la rigidité du monde des vacanciers est dépeinte à travers la cloche de l’hôtel qui carillonne pour les repas et qui montre donc de manière très précise les temps forts de la journée. Les politesses que se font les convives au restaurant et au salon ainsi que leur volonté de maintenir à tout prix le silence dans le salon commun achèvent le portrait. Et quand retentit une musique de Jazz  qui s’avérera être écoutée par Hulot sur un vieux phonogramme, ce sera un scandale et l’électricité sera coupée manu militari sans même en référer à l’intéressé. De même, le jeux de ping pong très bruyant dans la salle annexe du salon déclenchera des regards désapprobateurs. Seuls la radio et le discours lancinant d’un ministre semblent admis. Et même quand M. Hulot disparaît à la manière invisible et ne laisse plus que des traces de pas, il est encore sujet d’étonnement pour ses voisins.

Mais M. Hulot a des alliés et c’est certainement cet aspect du film que l’on discerne le moins bien ou en tout cas, pas dans toute son ampleur, au premier visionnage. Il faut en effet observer les personnages secondaires, les repérer parmi les figurants puis observer les  scènes de transition pour comprendre en quoi ils sont les alliés de M. Hulot.

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 Les vacances de M. Hulot L’allié le plus évident est Martine qui observe M. Hulot de son balcon et écoute d’un oeil distrait l’étudiant échafaudant devant elle de grandes théories pour observer en réalité le sympathique vacancier et sa partie de ping pong. Les deux personnages finiront d’ailleurs par se lier suite à l’épisode du tennis où Martine rit sous cape des déboires de ses camarades et malgré le rendez vous manqué autour d’une ballade en cheval, ils se retrouveront lors du bal costumé de l’hôtel, lui déguisé en pirate et elle en arlequin. Là encore, Tati parvient juste par l’image à mimer en quelques minutes un chassé croisé que l’on imagine amoureux, les deux personnages se manquant presque avant de se retrouver grâce à la fameuse petite musique que fait jouer M. Hulot sur le phonographe. Ils danseront alors la valse, sous l’oeil désapprobateur des autres pensionnaires.
 Les vacances de M. Hulot
Un allié qui ne sort du bois qu’en fin du film est le vieux monsieur qui suit sa femme toujours deux mètres en arrière une canne à la main. A la fin du film, alors que M. Hulot est ostracisé par le groupe, il vient le saluer et lui donner sa carte de visite. En regardant plus attentivement le film, on s’aperçoit qu’il repère rapidement M. Hulot dès l’épisode du bateau mis à l’eau par erreur. Du haut de la salle de manger de l’hôtel, il suivra en outre les suites de l’incident et observera les protagonistes se disputer. De même, son regard permet de comprendre qu’il se doute que M. Hulot est à l’origine de l’épisode du cheval qui, indomptable est enfermé par  ce dernier dans un cabanon mais qui finit par s’enfuir et, qui en ruant, enfonce la capote d’une voiture. IL est témoin des foudres lancées par le chauffeur de la navette à M. Hulot. Il le voit également partir en bateau puis  rentrer après que le bateau se soit plié en deux, faisant penser à un requin. Il est donc le seul à pouvoir déterminer à qui appartiennent les traces de pieds mouillés sur le sol du  salon. Enfin, il s’attardera à regarder M. Hulot et Martine danser ensemble, lui dans la nuit et dont le seul visage est éclairé par la lumière de la piste, comme pour signifier l’opposition entre la naissance de possibles sentiments amoureux et son couple usé au point que Madame finit par ne plus le voir. Les vacances de M. Hulot
Les vacances de M. Hulot
Les vacances de M. Hulot Autre allié de M. Hulot, la vieille anglaise qui l’encourage au tennis et au ping pong tandis que les autres s’offusque du bruit occasionné et de son style peu conventionnel. Elle le cherche des yeux à la fin du film et qui lors de l’organisation du pic-nic n’hésite pas à quitter un véhicule pour rejoindre son véhicule. Elle le saluera d’ailleurs à la fin du film.
Enfin, dernier allié, un des plus discrets mais qui annonce le film Mon Oncle et qui relie aussi M. Hulot à une certaine insouciance et naïveté des vacances : le fils de l’homme d’affaire. Il faut à ce titre se souvenir que dès les premiers plan, Tati filme la première vue de la plage du point de vue des enfants, qu’il s’arrête sur les bêtises de l’un d’eux et filme des petits minots adorables juste pour la beauté du plan. Les vacances de M. Hulot

Dès les première images, le jeune garçon remarque la voituré pétaradante puis il désigne à son père overbooké M. Hulot comme s’il s’agissait d’une célébrité. Et à la fin du film, ne voyant pas M. Hulot revenir, il tapera son ballon sur le sol, ce qui occasionnera un bruit inhabituel, très métallique, évoquant le coeur lourd de  l’enfant. C’est aussi certainement lui qui observera la voiture de M. Hulot plantée tout près d’une cérémonie d’enterrement. Il se réjouira enfin en entendant à nouveau retentir la musique de jazz avant de se rendre compte que, cette fois, M. Hulot n’était pas en cause. Il l’attendra, en vain, assis à califourchon sur une chaise de la salle à manger où seule est encore dressée la place de M. Hulot.

 

Les vacances de M. Hulot On remarquera que la relation qui se tisse entre ces protagonistes est diffuse et est tissée par des petits indices placés çà et là au coeur du film. Souvent, la relation unissant M. Hulot à ses acolytes ne fait pas l’objet d’une narration cinématographique classique en ce sens qu’elle ne résulte pas de l’intrigue principale, ni d’un dialogue ou d’une scène dont elles seraient  le principaux sujets.
Tati utilise souvent un plan montrant l’acolyte observant M. Hulot qui se trouve hors champ puis on voit à la scène suivante M. Hulot, comme pour signifier que celui-ci n’est pas vu par une camera objective mais par l’oeil de quelqu’un.  On rappellera à ce propos le jeu de regard des serveurs de l’hôtel.

Tati pose enfin dans ce film les grandes idées visuelles et sonores qu’il développera dans les films suivants.  L’hôtel qui s’éveille en pleine nuit, fenêtre par fenêtre rappelle la maison des Arpel dans Mon Oncle. Dans ce même film, on retrouve aussi le gag des traces de pieds.  
playtime La scène d’ouverture des touristes sur le quai de gare obéissant à une voix inaudible rappelle le propos de Playtime dépeignant une société moderne mais qui n’empêche pas M. Hulot de s’y perdre.
Enfin, il utilise la seule image et la seule construction du plan pour faire naître une idée ou faire un gag. Il soigne chaque plan comme un tableau. Que l’on pense au monde des estivants de l’hôtel. Chacun est filmé avec suffisamment de précision pour le reconnaître extérieur ou pour lui attribuer quelques traits caractéristiques. Autrement dit, il ne s’agit pas de figurants : on reconnaît l’étudiant, l’anglaise, l’homme espagnol qui démontrera son sens du rythme en un trait de seconde quand M. Hulot lui piquera les fesses avec sa canne à pêche, le jeune garçon et ses parents etc … Les vacances de M. Hulot

Pour aller plus loin, les articles consacrés à Playtime et à Mon Oncle

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