Portrait de la moyenne bourgeoisie

Après Son Excellence Eugène Rougon et La Curée retraçant la destinée des deux frères aînés atteignant les hautes classes sociales et politiques, une série de romans vient nous dépeindre et surtout critiquer de façon grinçante la moyenne bourgeoisie : principalement, il s’agit de Pot Bouille, Le Ventre de Paris, Une Page d’Amour.

Pot Bouille met en scène Octave Mouret jeune, fils de François Mouret , un commerçant et de Marthe Rougon, cousine de François. Dans le Ventre de Paris, leur cousine Lisa tient une charcuterie prospère dans Paris. Enfin, Une page d’Amour rend compte des ultimes représentants d’une des branches de cette immense famille : Hélène Mouret, sœur de François et sa fille Jeanne. La première vivra alors qu’elle est veuve une passion avec un médecin marié, entraînant sa fille à la santé morale et physique fragiles vers la mort.

C’est ainsi la seconde génération des Rougon Macquart qui est caractérisée, malgré des vies dissemblables, par une même morale d’apparence parfois soutenue par la religion et masquant souvent l’adultère, des relations intéressées et cruelles.

Fièvre de l’or et adultère

Derrière une conduite mondaine, les acteurs des trois romans apparaissent comme de véritables manipulateurs et calculateurs, cherchant à atteindre leurs fins par tous moyens. Si Octave cherche dans Pot Bouille à utiliser les femmes au service de son enrichissement se rapprochant ainsi de Mme Hédouin, il n’est pas le centre de l’intrigue qui se centre sur Mme Josserand, énorme madone autoritaire soucieuse de maintenir un rang social qu’elle n’a pas et menant la recherche d’un époux pour ses deux filles avec une rigueur militaire, montant de savantes stratégies et enseignant l’art de l’amour à ses filles comme l’art des champs de bataille. C’est une véritable machine de guerre qui gronde chez les Josserand où le contraste entre apparence et vérité est souligné par le jeu de la mère qui, tout aussi impérieuse avec ses bonnes successives, leur refuse tout avantage, les critique sans cesse pour désespérément conserver la majorité de sa richesse pour les mondanités et prétexte leur malhonnête pour justifier de la misère qui finit toujours par transparaître.

Autre auxiliaire et objet de manipulation : le vieil oncle alcoolique mais pas incrédule ;on espère de lui qu’il aide au mariage de ses nièces par quelques versements et on s’évertue ainsi à le saouler et à le cajoler pour qu’il cède enfin. En attendant pour masquer une pauvreté qui frôle la misère, elle raccommode et modifie ses quelques tenues et celles de ses filles pour faire apparaître la diversité de la richesse et ainsi appâter un mari fortuné qui pourrait entretenir la famille toute entière. Les sorties dans les bals parisiens se soldent souvent pas des rentrées à pied sous la pluie et sans fiacre, par des repas de misère. Les soirées tenues chez eux et les autres locataires représentent de nouvelles opportunités pour compromettre un jeune homme naïf.

Pire encore, parce que plus ténu de par la personnalité du personnage, est la façon dont Lisa se débarrasse du frère de son mari l’accusant à tort, et ce, pour que les rumeurs pesant sur lui ne viennent pas compromettre la réputation de son commerce florissant et condamne ainsi Florent à la mort.( Plus de détails ) Pourtant, à la différence de Mme Josserand, Lisa semblait posée et aimante avec son visage plein de bonhomie rouge et bien tendu et dont la vie semble remplie d’amour et de quiétude. Sa placidité reflète l’hypocrisie dont elle n’est pas nécessairement consciente ( alors qu’il arrive à Oscar de se sentir coupable de son attitude ), tout coule sur elle sans la blesser y compris sa propre conduite. Cette placidité et sa description physique la fait ressembler à sa cousine Hélène Mouret dont le goût pour une vie calme, sans heurt est longuement décrit . La passion de cette dernière est décrite dans Une page d’amour qui montre comment elle en vient à délaisser sa fille fragile jusqu’à la tuer pour finalement reprendre une vie plus « rangée » en se remariant. La fin d’Une Page d’ Amour est à ce titre saisissante puisque après une longue ellipse, on la voit réapparaître sous son nouveau nom de femme mariée comme s’il s’agissait d’une autre personne alors que Zola nous avait entraîné au plus profond de sa psychologie. Cette brusque distanciation soutient en fait celle que prend l’héroïne face à sa passion cachée. En effet, si la dernière scène nous la montre sur la tombe de sa fille, on la sent peu affectée, heureuse de quitter Paris qui symbolise ce qui ne semble être à ses yeux qu’une mésaventure, tout comme par ailleurs Lisa ne sent pas de remord pour son attitude.

Le titre “Pot Bouille” invoque un chaudron dans lequel mijote un bouillon, il y a cette idée d’effervescence intérieure et occultée d’un point de vue extérieur comme le montre l’arrivée d’Octave dans les couloirs silencieux de la demeure et à qui on fait remarquer la grande moralité des autres locataires. Le gardien qui est le lien entre l’intérieur et l’extérieur – puisque placé à l’entrée de l’immeuble – s’évertue à chasser les mauvais éléments et représente la morale telle qu’elle est défendue ardemment par tous souligne ainsi l’écart entre ce que soutiennent les habitants de l’immeuble et leurs actes.

Pot Bouille, de par le titre, mais surtout de par le lieu quasi unique d’action, catalyse ainsi cette vie à double facette mêlée d’apparence et d’hypocrisie. En effet, le lieu principal de l’action est la demeure où résident les personnages principaux en tant que locataires et dont les cuisines donnent sur une cour intérieure. Ainsi, les domestiques communiquent en s’interpellant des fenêtres donnant sur cette cour et échangeant les critiques, railleries et mésaventures de leurs patrons. C’est donc parce que l’on se trouve dans le lieu de vie des personnages où se trouve les coulisses de leur rôle social que Pot Bouille montre ce qui n’est que sous entendu dans les autres romans où la vie apparente prime et où le narrateur n’insiste que peu sur les intérieurs.

Les eaux usées sont déversées dans la cour intérieure de même que le linge est lavé ici. C’est à cette occasion que les bonnes médisent avec toute la vergue parisienne sur leur patrons mais on peut se demander si ce n’est pas Zola qui se cache dans ces voix pour souligner encore plus que ne le fait déjà la déroulement de l ‘intrigue l’immoralité la plus totale dans laquelle vive cette soi disant bourgeoisie. Celle ci laisse ainsi sans aide une pauvre femme accoucher sans aide sous prétexte que le père est inconnu alors que tous les soirs les hommes de la demeure rencontrent les bonnes logées sous les toits et que Berthe (une des filles Josserand ) trompe son mari avec Octave qui en parallèle fait des avances à Valérie et fait un enfant à Mme Pichon.

La religion

L’utilisation de la religion par les personnages

S’ils s’affirment comme chrétiens et croyants, tous ces personnages ne sont pas pratiquant ou du moins ils ne le deviennent que ponctuellement. Ainsi , si Hélène ne vas régulièrement à la messe, elle reçoit un prêtre à sa table chaque semaine puis se tourne vers la religion à l’occasion de la fête de la Sainte Vierge vue comme une mondanité et orchestrée par une de ses amies bourgeoises très frivole qui organise la cérémonie comme elle organisait les bals costumés d’enfants. La religion apparaît donc comme un divertissement pour cette femme qui trompe par ailleurs son mari. Cependant, Hélène semble y trouver le même réconfort que sa cousine Marthe Rougon comme substitution à sa passion ou comme personnification en la personne de Dieu de cet amour interdit. D’une façon plus matérielle, c’est aussi une façon de rencontrer son médecin bien aimé. De même, Lisa ira se confier à un prêtre au moment de dénoncer son beau frère. La religion apparaît alors pour tous comme un exutoire et non pas comme une conviction qui les suit au quotidien mais comme paravent à leur immoralité. Plutôt que de corriger leur vice, la religion agit comme un réparateur de conscience.

Le rôle du clergé

Les membres du clergé semblent conscients des travers de leurs fidèles et essayent de les corriger mais sans pour autant les rejeter hors de leur Église. Le prêtre conseille Lisa et la pousse à dénoncer son beau frère, dans Pot Bouille, le prêtre cherche à réconcilier Berthe, la fille de Mme Josserand, et son mari alors que celle ci a commis un adultère avec Octave. De même, dans une Page d’ Amour, le prêtre joue le rôle d’intermédiaire entre Hélène et son futur mari pour aider celle ci à retrouver le droit chemin. Ainsi, le clergé semble pragmatique, voire immoral dans le Ventre de Paris.

Le rôle assigné au clergé est particulièrement souligné dans Pot Bouille où le médecin et le prêtre vont ensemble, l’homme de foi et l’homme de science que tout à priori sépare, marchant main dans la main pour soutenir leurs proches, l’un et l’autre pénétrant au plus profond de l’intimité des familles, se montrant comme des observateurs privilégiés de cette société.

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