La Fureur de Vivre

Pour poursuivre sur la question de la délinquance de la jeunesse au cinéma ou en tout cas de son rapport à la loi, je vous propose d’aller cette fois aux Etats Unis et de  nous arrêter sur le film sorti en 1955, la Fureur de vivre ou “Rebel without a cause” dans sa version originale. Une bonne partie de la problématique du film est posée dès le titre en anglais. Il sera question du soulèvement  ou en tout cas de l’opposition de jeunes gens sans raison. Présenté ainsi, cela peut paraître surprenant voire absurde. Quel serait l’intérêt du propos, sinon de mettre en avant la peur que suscite cette nouvelle génération ?

En réalité, comme dans les 400 Coups ou la Haine (ici, l’article consacré à ces deux films), tout est une question de point de vue. Ces jeunes se rebellent-ils sans raison ? Et surtout quels sont les actes posés ?

Ici, encore se pose la question de la marginalité qui se dédouble dès la première partie du film en la question de la marginalité par rapport à la loi, puisque dès la deuxième scène d’exposition, les trois jeunes héros se croisent à la Brigade des mineurs, et en la question de la marginalité par rapport aux attentes de leur famille et à la marginalité par rapport au groupe social de leur âge.

En effet, après une scène de présentation de James Stark, Judy et Platon au commissariat, le film débute réellement par la description du premier jour de classe du jeune James Stark interprété par James Dean.  la fureur de vivre
A peine sorti de chez lui, il remarque la belle Judy qui repousse tout de suite sa première entrée en contact au profit de la bande constituée autour d’un code vestimentaire fait de blousons noirs pour les garçons. Ceux-ci refuseront ensuite d’aider James à trouver son chemin. S’en suit une scène symbolique à la montée des marches de l’établissement scolaire. Seuls les pieds des étudiants sont filmés et s’entrecroisent alors des couleurs pastel typiques de la mode de ces années. Soudain, James se fait interpeller car il est en train de piétiner ce que la horde de pas pressés avaient jusque là évités.
Le mal est vite pardonné et on indique à James son chemin. C’est compter sans la bande des blousons noirs filmée par un plan ascendant des pieds  à la tête pour bien marquer l’opposition entre les jeunes classiques et le petit groupe de “rebelles” qui se comportent de manière bien moins avenante. la fureur de vivre

Puis, au planétarium, James essaiera de se fondre dans cette bande des gros durs en les imitant dans  la dérision la conférence. La fameuse scène du couteau qui suit est posée objectivement comme un rite initiatique. La course tragique de voitures en constituera le second volet.

De même, Judy suit le groupe des blousons noirs pour être dans le groupe et finira par avouer à James que cette amitié n’est pas sincère. Au contraire, Platon apparaît tout de suite comme celui qui dénote. Il est beaucoup plus petit que les autres et son style ne correspond à aucun des groupes  du lycée. Sa différence est soulignée dès sa première apparition où en arrivant au lycée, il butte avec sa mobylette sur un trottoir, générant un grand bruit juste avant la levée du drapeau. Evidemment, il porte également en lui la problématique de l’homosexualité qui fit couler beaucoup d’encre au moment de la sortie du film (une scène de baiser entre lui et James a même été coupée au montage) et qui apparaît aujourd’hui abordée de manière désuète.

Un des enjeux communs à l’ensemble des personnages du film est donc l’intégration au groupe social de leur âge. Ce moment de socialisation est aussi un moment de rupture avec les repères familiaux, bien que cet aspect ne soit pas développé pour les trois personnages principaux. Et pour cause, les parents de Platon l’ont délaissé depuis bien longtemps.  En revanche, la question aurait mérité d’être approfondie pour Judy. On ne peut en effet que s’étonner que cette petite famille bien comme il faut laisse la jeune fille sortir seule le soir et que la nature de ses fréquentations ne soient jamais interrogées.

La rupture de Judy avec le monde de l’enfance est symbolisée par son manteau rouge qui forme comme une tâche  dans les premiers plans au commissariat et qui ne peut mieux souligner sa féminité nouvelle.

Avec James, la question est en revanche très développée. L’axe central est  en effet de savoir si, au regard de la bande de blousons noirs,  James passera ou non pour une “poule mouillée”, selon les termes mêmes employés par la version française du film. Cela résonne avec la place dévolue à son père au sein de la famille où il a est traité comme un moins que rien par sa mère. Exception faite de la scène finale, le père de James se trouve en effet en incapacité d’entrer en communication avec son fils et d’apporter les réponses que celui-ci attend, notamment dans la scène où James hésite à aller raconter à la police les raisons de l’accident dont a été victime Buzz.

Cet épisode permet de nouer les trois aspects de la marginalité évoqués ci-dessus (par rapport à la loi, par rapport aux attentes du groupe des adultes et par rapport aux jeunes du même âge). Epris d’idéal, James envisage en effet d’aller raconter à la police  ce qui s’est passé, ce dont le dissuadent ses parents, tenants de beaucoup plus de pragmatisme et craignant que l’avenir de leur fils ne soit à jamais noirci par cette affaire. Finalement, il ira chercher l’aide du commissaire rencontré lors de la première scène mais celui-ci est absent et ses collèges éconduiront James. A la sortie, il croise la bande des blousons noirs qui le voyant sortir du commissariat, s’inquiètent d’une éventuelle dénonciation le poursuivront jusque dans la belle demeure abandonnée.

Finalement, la vraie rébellion est celle posée vis à vis des attentes de la famille et plus généralement du monde des adultes.

Ainsi, on croit comprendre que la famille de James a déménagé à plusieurs reprises suite aux problèmes posés par leur fils. la fureur de vivre
Peu à peu, on comprendra aussi que les déménagements sont aussi liés à l’instabilité du couple parental.

Et d’emblée, dès la première scène, le peu de considération dont jouit le père est souligné ; il se  fait en effet et à plusieurs reprises rabrouer et contredire par sa femme au commissariat, au point d’ailleurs que James s’énerve en leur reprochant de l’écarteler. La scène paroxystique est celle dans laquelle James se demande s’il doit relever ou non le défi lancé par Buzz à propos de la course de voitures sur la falaise. Chez lui, il trouve son père paré d’un tablier de ménagère qui prépare le repas de la mère souffrante et qui surtout se trouve dans l’incapacité totale de guider son fils, ne pouvant que formuler des considérations générales totalement détachées du conflit interne de son enfant

Le film établit  clairement une relation de cause à effet entre les désordres familiaux et l’instabilité de James.

De même, l’attitude “rebelle” de Judy est celle d’une jeune fille qui ne trouve plus ses repères dans sa relation avec son père à qui elle reproche de vouloir effacer les signes de sa féminité naissante tout en cherchant auprès de lui les câlins d’une petite fille. Et Platon se rebelle contre l’abandon total dans lequel le laisse ses parents.
fureur de vivre

 

Le titre du film fait donc naître une attente qui ne se vérifie pas : plutôt que de mettre en scène des jeunes se rebellant sans raison, de manière absurde et donc nécessairement très répréhensible, contre les  règles de la société, Nicholas Ray nous montre au contraire des adolescents perdus dans un monde où les adultes ne leur sont d’aucune aide et qui au contraire, sont générateurs d’instabilité.

On remarquera d’ailleurs que si le film joue sur les préjugés qu’entretiennent les spectateurs à l’égard des blousons noirs et il ne fait allusion à aucun fait particulièrement graves, si ce n’est la bataille de couteaux devant l’observatoire qui aurait pu effectivement mal tourner mais qui est dans le même temps une scène très habituelle de bagarre entre jeunes gens. Pour ce qui est de James, Judy et Platon, la scène d’exposition les situe au commissariat mais il leur est en définitive reproché, sauf à Platon, bien peu de choses. Judy s’est en effet enfuie de chez elle suite à une altercation avec son père et James a été retrouvé ivre en plein milieu de la rue. Pour Platon, qui apparaît le plus inoffensif et enfantin des trois, il en va autrement puisqu’il a tué des chiots avec un pistolet, ce qui constitue un malheureux présage de la suite du film. Pour ce qui est de la rébellion sur un plan pénal, on repassera donc.

La confrontation de Judy, James et Platon au monde des adultes prend un tour symbolique en deuxième partie de film. Les trois acolytes trouvent en effet temporairement refuge dans la vaste demeure abandonnée située en contrebas de l’observatoire, comme une première étape vers le monde de l’idéal absolu évoqué évidemment par le choix du nom de Platon et par le discours au planétarium insistant sur l’insignifiance et la contingence de nos vies.

A cet endroit, les trois amis pourront mimer un instant l’existence d’une famille formée par le couple James/Judy et dont Platon sera le fils. Ce sera aussi l’occasion de mettre en scène ce qu’ils ressentent du monde des adultes  en se mettant à leur place et en imaginant comment ils feront en sorte de ne pas être importunés par leur progéniture, ce qui renvoie au discours de la mère de James la plaçant systématiquement dans une position victime par rapport à son fils et qui souligne notamment  qu’elle a failli perdre la vie en lui donnant naissance. C’est aussi l’occasion de jouer – une dernière fois – à des jeux d’enfants dans la grande piscine vide. La chicken run est aussi dans une certaine mesure un jeux d’enfant adapté à des moyens adolescents. On y voit notamment Judy virevolter et courir comme une gamine.
la fureur de vivre - platon s'endort

Seulement le rêve de Platon qui recherche la douceur du cocon familial n’est pas celui de James et Judy qui se mettent en couple et sont embarrassés à leur tour de cet “enfant” un peu collant qu’ils délaissent une fois endormi pour poursuivre la visite de la vieille bâtisse.

Platon se sentira trahi et tirera à la fois sur un des blousons noirs qui les ont  retrouvés dans l’intervalleve et sur James, sans toutefois le toucher. A l’arrivée de la police, il fuit vers l’observatoire où Judy et James le rejoigne pour essayer de le calmer. James arrive à le raisonner dans un discours dont la vacuité et l’évidente absence de sincérité témoigne de son évolution. Il endosse le rôle de l’adulte et donne d’ailleurs son blouson rouge à Platon, blouson emblématique du film qu’il porte à compter de la chicken run, c’est à dire quand il prend la décision de relever le défi et de s’intégrer au groupe des blousons noirs. Il intercèdera ensuite entre Platon et la police, le premier trouvant que l’extérieur est trop éclairé, ce qui renvoit encore au mythe de la caverne. Finalement, il sera abattu à la vue de son arme, les policiers ne pouvant savoir qu’elle était déchargée.

James pleurera sur son corps, comme il pleure en ouverture du film sur le petit singe que l’on peut interpréter comme le symbole de l’enfance perdue. Puis, assez rapidement et de manière assez gênante, il s’en ira accompagné de son père qui le couvre de sa veste, symbolisant ainsi son passage dans le monde des adultes, et en tenant par l’épaule Judy.

En conclusion, la Fureur de Vivre marque un traitement particulier du thème de l’adolescence et dans une moindre mesure de la délinquance juvénile en mettant en valeur l’importance du rôle des adultes. Si le propos reste d’actualité, son traitement a beaucoup vieilli, notamment le jeu de James Dean qui apparaît maladroit. Le choix d’une intrigue en une journée, sur le modèle de la tragédie conduit en outre à resserrer la narration en ne développant pas tous les aspects du sujet en faisant prévaloir les éléments symboliques sur l’approfondissement de la psychologie des personnages. Pour ceux que cela intéresse, vous pourrez acheter sur le site du journal Le Monde la critique de la Fureur de Vivre de Jean de Baroncelli parue au moment de la sortie du film en France. L’article est extrêmement élogieux et très interprétatif par rapport à la narration explicite du film. On y apprend également que le film a été interdit au moins de 18 ans, ce qui ne peut que faire sourir aujourd’hui, au regard de notre échelle de notation.

L’utilisation des  plans de plongée et de contre plongée dans le film

Nicholas Ray utilise à de nombreuses reprises des plans en plongée en contre plongée permettant de symboliser l’évolution des rapports de force dans la scène. On en trouve un premier exemple à l’arrivée dans le commissariat où James se perche sur un meuble à cirer les chaussures et duquel il engage la conversation avec ses  parents.
Plus tard, il se trouvera en situation de subordonné, seul à seul avec le commissaire de police vu  en contre plongée qui seul lui parlera avec intelligence.
Il semble en effet comprendre tout de suite les dysfonctionnements familiaux. Il extrait alors James de la salle où il se trouve entouré de ses parents et de sa grand mère et l’invite à se défouler sur la table. Ils observent ensuite les adultes à travers un œilleton qui ressemble à celui de la cellule d’une prison, comme pour indiquer l’identité des réels coupables. Ce commissaire est certainement l’adulte qui s’avérera le plus intelligent avec James mais celui-ci ne pourra le retrouver en pleine tourmente.
En effet, après l’accident et après essayé d’obtenir des réponses auprès de ses parents, James ira au commissariat mais il apprendra que le commissaire s’est absenté.

Cette dernière scène d’explication avec ses parents est encore l’occasion d’un plan en contre plongée où James se trouve en hauteur par rapport à ses parents, symbolisant l’impossibilité de ceux-ci de prendre le dessus moral sur lui par une autorité ferme en prise avec la situation.

Les plans en contre plongée se trouvent aussi en prélude de la scène de la bataille au couteau dans laquelle on voit successivement les blousons noirs défiant James qui se trouve sur un balcon surplombant et les scènes inverses où le point de vue est celui de James. On remarquera que le plan de contre plongée inclut déjà, avant la bagarre, la lame du couteau ayant servi à crever les pneux de la voiture de James. Cette scène créée une impression menaçante en montrant James devenu très petit du fait de la perspective et donc cerné par les blousons noirs.

Pour aller, plus loin, un premier article sur la délinquance des jeunes vu au cinéma : la Haine et les 400 coups

Un second sur l’Equipée Sauvage

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