La Dolce Vita

La Dolce Vita, dit comme çà, cela fai rêver et l’on se voit déjà en train de siroter un ristretto ou un panaché à la terrasse d’un café, à l’ombe d’un pin parasol avec vue sur le colisée ou devant la fotaine de Trévi à une heure tardive où à l’heure où la place serait enfin désertée par les touristes,  on entendrait seulement le bruit de la fontaine et où l’on sentirait une douce fraicheur. Bref, il ne manquerait  plus que Marcello Mastroianni ou Anita Ekberg, c’est selon, pour nous dire “Come here”. Mais derrière ce plan mythique, la Dolce Vita cache un propos plus sombre et dépeint une réalité beaucoup plus triste et grinçante.
Car le thème principal du film est la peinture d’une société du superficiel, du désoeuvrement, de l’ennui qui se saoule dans les fêtes et la vie nocturne. C’est aussi le portrait de Marcello  journaliste aspirant écrivain, dont le travail est de couvrir les événements mondains mais qui y finit par y participer tout en restant en recul par rapport à la frénésie de ses confrères.
les paparazzis2 - la dolce vita Fellini joue ainsi en permanence sur plusieurs mises en abyme, il filme des journalistes en train de filmer et de photographier la supposée Dolce Vita, c’est à dire cette société du spectacle. Il met en scène un journaliste qui scrute comme lui (comme nous) les starlettes mais aussi ses confrères. Et l’on se trouve tantôt dans les yeux de Marcello, tantôt dans le regard objectif de la caméra.
Le film a été réalisé en 1960. Fellini s’inspira de faits réels produits dans l’actualité pour tourner la baignade dans la fontaine de Trévi où le transport d’une statue du Christ en hélicoptère au dessus de Rome.
En 1958, Anita Ekberg s’était baignée dans la fontaine de Trévi et avait ait la Une des journaux.
christ hélico - la dolce vita
De même, le survol de Rome par un Christ en hélicoptère fait référence  au survol d’un Christ arimé à Milan et porté jusqu’au Vatican en hélicoptère. Bien que tirée d’une scène réelle, cette scène valut au film d’être  interdit dans l’Espagne franquiste.
À sa sortie, la Dolce Vita fut critiquée tant par la société du spectacle qui ne supportait pas de se voir ainsi dépeinte, peut-être de manière finalement trop réaliste et par l’église catholique qui voyait dans les images de soirées grotesques et déviantes. Et pourtant, ironie de la situation, Fellini  se sert de scènes réelles  dont la matérialité ne peut être critiquée ni par un bord ni par l’autre.
Le film s’ouvre donc sur l’arrivée d’un Christ hélitreuillé  vers le Vatican. Un autre hélicoptère emporte des journalistes chargés de couvrir l’événement. Ceux ci  se détournent cependant rapidement de leur activité  pour discuter avec de jolies romaines qui bronzent sur le toit d’un immeuble des quartiers nouveaux. Est-ce dire que l’on ramène de la spiritualité dans l’Italie moderne d’après guerre ? Est-ce montrer la supériorité de la technique sur les anciens signes spirituels ? Peut-être qu’il s’agit plutôt d’étudier les rapports entre le matérialisme et la spiritualité? En tout cas, c’est déjà signifier que la priorité n’est plus au spirituel mais à la recherche plaisir avec de jolies femmes.
Ce survol de Rome permet aussi à Fellini de dresser le décor général de son film en montrant un aqueduc romain, premier vestige de la Rome antique qui apparaît de manière omniprésente en arrière plan de nombreuses scènes du film ainsi que les quartiers nouveaux de Rome construit par Mussolini et développés  dans la période d’après-guerre. Il s’agit donc de montrer le passage de l’Antiquité à la modernité, d’en voir les permanences et/ou les  points de  rupture.
La scène suivante plante immédiatement le contrepoint de cette apparition religieuse en mettant en scène  une divinité bouddhique fantoche en train de danser au milieu d’un restaurant de la via venetto.
Le fait que certaines scènes centrales soient inspirées de faits réels permet aussi de répondre par avance aux critiques que ne manqueront pas d’émettre ceux qui sont ainsi croqués.
C’est aussi une façon pour Fellini de brouiller les cartes entre fiction et réalité, entre ce que l’on voit et ce qui est. En ce sens, pourrait on qualifier la Dolce Vita de réaliste ? D’ailleurs, le journaliste joué par Marcello Mastroianni s’appelle Marcello. Fellini aurait aussi voulu qu’Anita Ekberg garde son prénom mais elle a refusé.
l'omnipresence de la camera - la dolce vita Autre procédé de mise en abyme, la présence d’énormes projecteurs de cinéma au cours de l’épisode des enfants ayant vu la sainte vierge et lors de la scène conjugale entre Marcello et sa compagne, projecteurs qui annoncent déjà l’immense Huit et demi, comme s’il était déjà question de passer derrière la caméra et de parler des angoisses artistiques autour de la création.  Dans la première de ces deux scènes,  la présence des projecteurs s’expliquent par le sujet : il s’agit de filmer la presse agglutinée autour d’un supposé miracle, laquelle a emmené avec elle tout son matériel.
Mais au lieu de seulement filmer la presse, Fellini renforce l’effet de mise en abyme en incluant l’éclairage qui leur permet de filmer la scène en pleine nuit et qui lui  permet en réalité, à lui , d’éclairer sa propre scène. La présence de gros projecteurs s’explique moins dans l’épisode de la scène de ménage si ce n’est pour semer le doute sur la frontière entre le réel et la réalité puisque quand le jour se lève et que la lumière artificielle s’éteint, les deux amants partent en voiture ensemble comme si l’ensemble de la scène présente n’était qu’un jeu, qu’une scène du script.
“Rome est une jungle tiède et paisible ou l’on peut se cacher”. Autrement dit tout n’est qu’apparence, fête, joie de vivre dans un monde social sans foi ni loi. Cela peut paraître paradoxal dans un monde où les paparazzis sont omniprésents mais c’est vrai dans la mesure où les paparazzis ne poursuivent que la frange célèbre de ce microcosme social. Les autres restent tranquilles et se cachent de leur congénères et d’eux mêmes en bannissant tout vrai échange. Même celle qui pouvait apparaître au  début du film comme ayant le plus de recul sur ce monde, comme un double féminin de Mastroianni s’avère aussi décevante. Elle le trahit en l’amenant à déclamer ses sentiments dans une grande demeure où un système d’acoustique permet de dialoguer à distance , et donc pas nécessairement dans une intimité parfaite. Et n’est ce pas paradoxal que ses confidences – les seules du film avec celles de Steiner mais on sait ce qu’il adviendra de lui- ne soient possibles que dans un tel mécanisme. Quand elle s’échappe au début du film avec Mastroianni,  on pourrait penser qu’elle va vivre avec lui une relation vraie mais c’est oublier qu’elle part avec lui parce que quelqu’un lui a posé un lapin. Et leur intimité se borne à aller faire l’amour chez une prostituée qui vit cent fois plus chichement qu’eux dans un appartement totalement inondé.
les paparazzis2 - la dolce vita Autre femme se trouvant dans l’univers de Mastroianni, Anita Ekberg, qui joue presque son propre rôle, d’une beauté sculpturale et saisissante à qui n’importe quelle capture d’écran rend grâce. Présente dans la première partie du film où Mastroianni semble avoir encore du recul, elle montrée descendant de l’avion devant une horde de paparazzis, gravissant le couloir menant en haut de la coupole du Vatican poursuivie par les mêmes photographes ou se lançant dans une danse endiablée dans d’anciens thermes. Si elle paraît sincère dans ses émotions comme semble le symboliser la scène avec le petit chat blanc, elle est entourée d’un staff beaucoup moins amène qui la regarde avec dédain et souvent machisme. On peut penser à l’arrivée de son amant pendant la conférence de presse qui la remet immédiatement en place puis qui n’hésite pas à la gifler en public devant les photographes.
la star Anita Ekberg entouree des journalistes - la dolce vita
montée dans la coupole du vatican- la dolce vita

 

En contrepoint on trouve la compagne de Mastroianni dont il a honte, qu’il fait passer pour une folle, qu’il se garde bien de présenter à son père à qui il va jusqu’à expliquer que la femme qui a décroché  le téléphone chez lui était la femme de ménage. Pourtant, elle est certainement l’un des personnages les plus clairvoyants du film. Cela apparaît clairement dans la seconde seconde de ménage où elle lui reproche de vivre dans un rêve, en dehors de la réalité. la femme de mastroianni seule - la dolce vita
rencontre avec stanley - dolce vita

la dolce vita

Face à ce monde aisé, frivole appartenant manifestement à la classe moyenne voire haute de la société et où la religion est totalement absente sauf chez M. Steiner, alors même que l’arrivée du Christ sur Rome en ouverture aurait pu faire attendre que la foi ou l’Eglise soit montrée comme une voie de salut, Fellini ne tourne qu’une scène dans les milieux les plus modestes et cette scène à trait avec la religion. Il s’agit d’une famille ouvrière qui prétend que les enfants ont vu la sainte vierge. Ils essaient maladroitement de monnayer les photos que la presse viens prendre à leur domicile.  C’est l’occasion pour la presse de faire prendre des poses aux personnes âgées de la famille qui se prêtent au jeu en étant plus ou moins consciente de ce qui se trame.
S’en suit une scène de grand n’importe quoi médiatique où à la nuit tombée,  les enfants attirent dans la brousse industrielle environnante une horde dejournalistes qu’ils font aller de gauche à droite en prétendant voir la vierge à l’endroit puis à un autre.
C’est à partir de ce moment-là que le film bascule en montrant aux spectateurs des scènes dérangeantes qui vont au-delà de la description de la vie d’une petite classe privilégiée ne pensant qu’à s’amuser.  Dérangeant dans ce grand raout médiatique est transporté sur une civière  un grave handicapé  qui finit par mourir au petit matin et qui est enterré  dans la foulée alors que tout le monde est parti, dans la plus grande différence sur le crépitement flash du journaliste principal cependant gêné de la situation.
Si cette scène a pour thème principal la religion,  celle-ci est apparaît par touche tout au long du film. Ainsi, l’hôpital où est hospitalisée la compagne de Mastroianni après sa tentative de suicide est tenu par des bonnes sœurs Il est frappante d’ailleurs, de mesurer que ce bâtiment ressemble plutôt à une morgue.
On ne peut aussi que penser à la montée de Sylvia dans la coupole du Vatican, toujours poursuivie par une horde de journalistes. Celle-ci est habillée comme un prêtre dans une tenue qui pourrait paraître monacale par la couleur mais qui est si serrée qu’elle moule son corps sculptural. devant saint pierre - la dolce vita
On finit par arriver en haut de la coupole avec Sylvia de dos et au fond la fameuse place. Point de recueillement, Marcello et Sylvia s’embrassent, interrompus par l’envolée du chapeau de l’actrice. Du Vatican, on n’aura donc vu que le tohu-bohu médiatique et les prémisses avortés d’une relation.
Autre Église, celle où Marcello rencontre M. Steiner dans le quartier de l’Eur. C’est la dernière apparition de cet homme qui bien qu’il dise combien il se sent chez lui dans ce bâtiment ne pourra être sauvé par la foi et mettra fin à ces jours quelques temps plus tard.
A travers les résumés de ces quelques scènes, on voit combien la mort plane au dessus de la Dolce Vita au point de rendre le film difficile à regarder, surtout quand la mort s’associe au vacarme de la presse à scandale. Comment ne pas être mal à l’aise devant la nuée de journalistes qui encercle Mme Steiner alors que le commissaire est venu lui apprendre le suicide de son mari et l’assassinat de ses enfants ?
Comment ne pas sentir la pesanteur de la mort quand Marcello revient chez son ami accompagné de la police et se trouve incapable de parler de lui ni en tant que journaliste, ni en tant qu’ami, comme pour signifier la superficialité de leur relation et la vacuité de leur existence ?
La mort plane aussi au dessus de l’épisode dans lequel Marcello rejoint son père. On comprend qu’en définitive, ce bon père de famille a lui aussi mené une vide de d’ébauche quand il était en déplacement pour son travail. Reproduction de schémas donc, et ouverture vers la fin de cette existence puisque la scène se clôt par le malaise du père.
Et finalement, alors que l’on aurait pu penser jusqu’à environ la moitié du film que Marcello pourrait se sortir du piège dans lequel il est enfermé, on se rend compte que la décadence augmente à mesure que le film progresse. Ainsi, les dialogues dans la voiture sur le chemin de la soirée finale n’ont plus de sens, la débauche de moyens met toujours plus en exergue l’absurdité du moment. L’article consacré à la Dolce Vita dans Wikipedia indique que sous l’apparence d’un film à sketch peu construit, Fellini étudie systématiquement les possibilités offertes à son héros. Ce cheminement est symbolisé par les nombreux escaliers que gravit toujours Marcello que ce soit pour rejoindre sa femme à l’hôpital, son père après son malaise, son ami Steiner après son suicide, la famille Romaine du miracle.
les escaliers - la dolce vitacourse poursuite en montant la coupole - la dolce vita Encore ironie de filmer sans cesse une élévation alors qu’en définitive, on progresse plutôt vers les avatars les plus terribles des habitudes de la société décrite. Ironie aussi quand on pense aux escaliers les plus longs et les plus symboliques du film : ceux qui montent à la coupole du Vatican. Et pourtant, pour toute élévation spirituelle, on voit une course poursuite journalistique, un chapeau envolé, un baiser manqué.
dolce vita Les deux dernières soirées de la Dolce Vita sont les plus décadentes, non pas nécessairement en ce qui s’y passe bien que le streep tease fit en son temps scandale, mais en ce qu’il est pénible de voir pendant de longues minutes cette société qui parle pour rien dire, qui s’amuse pour ne pas sombrer et qui ne semble que pouvoir tourner indéfiniment sur elle même. La dernière soirée semble d’ailleurs se dérouler après une ellipse temporelle. Marcello a troqué son costume noir pour un complet blanc. Il semble beaucoup plus fatigué et c’est désormais lui le maître de cérémonie. Il a donc lui aussi renoncé à construire quelque chose, l’épisode baigné de soleil avec la jeune serveuse n’aura conduit à rien. Et c’est d’ailleurs elle que l’on retrouve dans la scène finale mais il ne semble pas la reconnaître. En tout cas, ils sont irrémédiablement séparés par la marée montante

 

Le Dolce Vita se ferme par cette image et par la pêche de cette pieuvre géante dont on ne sait si elle morte ou vivante, dont on ne peut distinguer le devant du derrière et qui elle, selon les paroles d’un des fêtards, continue de regarder  en écho à Marcello qui vient de demander ” à quoi bon regarder ? “. Dernière mise en abyme car regarder du point de vue du personnage principal c’est prendre du recul, écrire mais regarder du point de vue du spectateur c’est s’interroger sur le sens de tout ce qu’il vient de voir mais aussi sur le sens de la presse à scandale qu’il lit.
La dolce Vita annonce ainsi le propos de huit et demi qui se recentrera sur la problématique de l’auteur en mal d’inspiration et donc sur le sens de la trajectoire personnelle. Dans la dolce Vita, l’écrivain se suicide et l’écrivain rêvé renonce. Quelle sera la porte de sortie dans huit et demi ?
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