“Roma” de Federico Fellini

embouteillage romain film RomaPorte d’entrée, voilà le mot clé tant les voies, les voitures, le train sont omniprésents dans le film. Que ce soit l’ancienne voie romaine, la gare de Rome, la longue scène d’embouteillage du périphérique romain abordant la Rome actuelle et enfin, la scène de clôture où des motards parcourent les hauts lieux de la ville déserte, tels des insectes fous.

Je me dis que si je devais rapidement évoquer par l’esprit Paris, les images de ma ville natale, les images de mes endroits préférés défileraient comme ça. Quoi de plus jouissif que de parcourir sans entrave,  sur une moto, à toute vitesse, chaque place, chaque rue de sa ville préférée ouverte rien que pour soi, de pouvoir jouir de chaque lieu, d’en prendre possession puis de passer frénétiquement au suivant, avoir le temps de tout voir, de tout faire, d’aller aussi vite que défilé y les images dans notre tête.

Roma de Fellini nous entraîne  donc dans un tourbillon qu’il est difficile de démêler et dont il livre une métaphore en clôture de film.

arrivée du jeune homme Roma de Fellini

La référence à l’expérience personnelle vient naturellement car La Roma de Fellini est une évocation de la capitale par le cinéaste qui y a développé son activité artistique et qui y a vécu mais qui n’y a pas grandi ; d’où l’évocation de Rome d’abord de l’extérieur dans une école de campagne puis en filmant l’arrivée d’un jeune premier en train et l’arrivée de l’équipe de cinéma de Fellini sur le périphérique embouteillé de Rome.

Roma de Fellini mise en abymeLa Roma de Fellini est donc une évocation personnelle de la ville vue à la fois comme la ville rêvée et fantasmée pour un petit campagnard, ville qui l’accueillera quand il plongera dans le grand bain, ville qui l’inspirera enfin, et qu’il ira jusqu’à recréer en partie dans les studios de la Cinecitta pour tourner la via Venetto de la Dolce Vita dont l’un des thèmes est justement le jeu de frontière entre le réel et ce qui est dit ou raconté. Il ne s’agit donc ni d’une ode amoureuse à la capitale italienne, ni d’une description touristique. Il s’agit d’évoquer, pêle-mêle et de manière non exhaustive, la Rome de Fellini. Rome sert de support à l’imagination de Fellini dont le propos se développe en plusieurs strates : ce qui est de l’ordre de l’évocation de de Rome telles les diapositives, ou les pièces de théâtre se déroulant dans l’antiquité, ce qui est filmé de la capitale en vision – apparemment – objective, ce qui est filmé par le réalisateur qui se filme lui même en train de tourner et ce qui est dit dans ces plans particuliers.

C’est donc avec un regard extérieur que Fellini aborde d’abord le film en répertoriant tous les clichés : Remus et Romulus, la louve, les romains de l’Antiquité, le Colisée, César, l’Eglise. Tous ces clichés sont vite tournés en dérision car présentés sous la voie docte du prêtre d’une école catholique qui se fait piéger par l’insertion inattendue dans les diapositives présentées aux enfants d’une image pornographique.

Roma de Felliniarrivée du jeune homme Roma de Fellini

arrivée du jeune homme Roma de Fellini

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L’Eglise est très présente  dans le film. Elle est évoquée à l’arrivée du jeune homme à la gare de Rimini. Le Saint Siège est aussi filmé rapidement à plusieurs reprises. Et évidemment, on ne peut qu’évoquer la scène du défilé de prêtre en patins à roulettes. Il y a d’abord toute la préparation du défilé, le dépoussiérage  des portraits des vieux souverains pontifes, ce qui signe leur tombée en désuétude et le caractère suranné de leur entretien. On voit ensuite arriver un grand prélat de l’Eglise, reçu comme le roi soleil par des hôtes obséquieux.

Un des personnages dit “la ville s’accélère, Rome aussi”. Seulement, l’accélération se fait sur des patins à roulettes et des chars de parade dignes d’Eurodisney et il est bien évident que l’Eglise présentée dans la scène préparatoire au défilé comme empoussiérée et moribonde devient ridicule. Les parures brillantes d’autrefois, les auréoles, les draperies qui font tout le prestige de l’église deviennent des lumières clignotantes ultrakitches. Des squelettes remplacent parfois les mannequins dans le défilé.

Pendant le défilé, Un des personnages dit “rome est centrale, c’est la ville des illusions, c’est la ville de l’église et du gouvernement et du cinéma : ils fabriquent de l’illusion”. Le gouvernement temporel et spirituel  sont donc relégués au même niveau que l’activité de l’artiste.

Tout n’est que magie, image, illusion. Et Rome inspire autant Fellini parce qu’elle génère ces illusions et l’inspire ainsi. L’église devient donc un sujet non en raison de son pouvoir présent ou passé mais en ce qu’elle produit une partie de l’illusion romaine.

Roma de Fellini mariée cadavérique oma de Fellini le clou du defile
Roma de Fellini les ouvriers

Roma de Fellini

Roma de Fellini

Au delà de ces hautes sphères du pouvoir et de la société,  Fellini s’attache à filmer le peuple romain. Il évoque les dures activités des ouvriers romains sur le périphérique. Il le filme dans la gare de Rimini. Il en montre la chaleur dans le grand banquet qui suit l’arrivée du jeune premier et en dépeint la gouaille au Barafonda où le spectacle est d’avantage dans la salle que sur scène. Ce qui importe pour Fellini est non la production artistique conventionnelle de la cité romaine mais ce que produit le peuple dans son humeur tapageuse et criarde.
On ne peut qu’être frappé en comparaison par la tristesse relative du banquet du Trastevere qui se termine par la scène où Anna Magnani claque sa porte devant la caméra du cinéaste, refusant de jouer le rôle d’une icône de Rome. Porte fermée qui constate avec l’époque du jeune Fellini à Rome où le banquet était descendu dans la rue et où les appartements étaient partagés par une foule bigarrée. Roma de FelliniRoma de Fellini : Rome vide
prostituée roma de FelliniRoma de Fellini : les prostituéesprostituée roma de Fellini Autre figure du peuple romain, les prostituées qui représentent une sexualité crue et débridée traversant tout le film. Elles sont présentes dans les embouteillages, à toutes les époques de l’histoire, et dans tous les milieux sociaux. Leur évocation est plutôt triste, on les voit attendre sous la pluie, attendre le client dans les maisons de passe, exposant leur corps dans les rez de chaussée avant d’emmener leurs clients à l’étage, étage que l’on ne voit jamais et qui est seulement évoqué par une brume profonde et peu enchanteresse.

Contrairement à d’autres films de Fellini où le corps des femmes est objet de fantasmes et où il n’hésite pas à montrer des actrices aux poitrines débordantes, le corps des femmes apparaît ici plutôt triste. L’accent est mis sur leur réification au profit d’un amas d’hommes avides qui se bousculent ou  s’entassent dans les couloirs, pour le plaisir de voir ces poitrines dénudées. C’est l’aspect commercial et voyeur qui est ici mis en exergue.

À plusieurs reprises, le film fait référence à l’opposition entre la Rome idyllique et la Rome moderne. Ainsi, Fellini met en scène l’arrivée en masse de touristes dont le mode de voyage  leur interdira assurément d’aller au delà d’une vision superficielle de Rome. Et dans le même temps, il se montre en train de converser pendant le tournage avec des passants qui pour les uns, veulent voir aborder les problèmes modernes comme le logement et qui pour les autres, veulent voir le vrai Rome qui a selon eux disparu sous la pression des drogues, des travestis et des prostituées. Or, le fait que Fellini nous montre des prostituées à toutes les époques permet de savoir qu’il ne souscrit pas à ce propos de la décadence romaine. les touristes Roma de Fellini

Roma de FelliniDe même, il filme la répression violente d’une manifestation de hippies dans le Travestere ainsi que les propos réactionnaires d’un passant qui fustige le laxisme pénal et les jeunes qui ne seraient intéressés que par le plaisir et la drogue. Encore une fois les images évoquant le passé romain, l’épicurisme du banquet dans le Trastevere ou la séduction de la femme de chambre à l’arrivée du jeune homme, double de Fellini, montrent que plaisir et séduction ne sont pas nouveaux et que finalement, le réalisateur prend partie contre ses propos réactionnaires.

le coliséePoint question donc d’images de cartes postales, de glorification de l’Antiquité Romaine. La première évocation du Colisée quand est abordée la ville moderne fait ainsi apparaître le vieux monument éclairé de l’intérieur comme un décor de carton pâte  cerné par le flot des voitures et des embouteillages.Puis vient la célèbre scène des fresques antiques. Tout commence par une évocation des problèmes de percement du métro romain. Le spectateur est plongé dans de profonds tunnels, voit d’énormes machines. On se croirait brusquement dans un film de science fiction. Brusquement tout s’arrête, on est peut être tombé sur une nouvelle habitation antique. La caméra nous montre alors l’envers du décors, nous fait parcourir les couloirs déserts, nous montre les fresques puis peu à peu les machines percent la paroi. Les visages des fresques sont éclairées par les lampes de poche. Elles ressemblent étonnamment aux protagonistes de la scène et les scrutent, de même que les spectateurs, d’un œil perçant et puis le vent s’engouffre et les fresques s’effacent, tout disparaît. Cela évoque aussi la scène finale où les scooters tels une bourrasque de vent frais parcourent la cité et annoncent des temps nouveaux, annonce d’ailleurs symbolisée par le tremblement de l’image à leur passage.

Roma de Fellini la destruction des freques

Roma de Fellini fresque romaine

A première vue, le double montage chronologique du film qui montre la vision de Rome d’un jeune provincial puis son arrivée à Rome et qui par ailleurs évoque les images mythiques de Rome avant de filmer la ville moderne qui détruit  des fresques , vestiges de l’Antiquité pourraient faire croire que le propos du film tourne autour d’une opposition entre le passé et le présent.

Roma de FelliniA la réflexion, et c’est certainement pour cela aussi que le film est difficile à aborder, Fellini se joue de cette distinction. Ainsi, la scène du métro est précédée par une vision des archives débordantes de paperasse comme pour nous montrer que notre civilisation produit aussi ses propres vestiges, même si ceux-ci n’ont pas la beauté des fresques anciennes. On nous montre aussi une défense de mammouth qui nous rappelle que l’histoire de Rome n’a pas commencé avec l’Antiquité.

 

De même, il est frappant que les couloirs de l’ancienne bâtisse romaine découverte lors du percement du métro ressemblent à des tunnels aux formes arrondies ressemblant étrangement aux tunnels du métro.

Autre exemple, la maîtresse de maison de la demeure familiale dans laquelle arrive le double de Fellini ressemble étrangement à une figure antique.

 

Roma de FelliniRoma de Fellini

Roma de Fellini les motards Finalement, Roma de Fellini est un magnifique pêle mêle de la capitale italienne, un pêle mêle subjectif vu à travers les yeux du réalisateur, mélangeant passé et présent, refusant s’enfermer dans l’histoire classique de l’Antiquité, dans l’image actuelle de carte postale. Ce qui compte c’est le Rome qui vrombit, qui bouge, qui fait tout trembler, à l’image des motards qui clôturent le film.
Pour aller plus loin ; article sur la Dolce Vita de Fellini
Les pages consacrées à mon voyage à Rome

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